L'esprit de la loi

Afin de saisir l’esprit de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, notamment son article 49 qui légifère à propos de l’instruction en famille, il est nécessaire d’étudier les débats parlementaires qui ont précédé son adoption.

Situation propre à l'enfant

Lors de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la République se réunissant le vendredi 22 janvier 2021, Mme Géraldine Bannier a déposé un amendement afin de retenir “l’expression suivante : “situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif”. On supprimerait ainsi l’adjectif “particulier”, qui est assez flou et insiste trop sur le caractère atypique ou les particularités de l’enfant, et on garderait la référence à une situation propre à celui-ci, c’est-à-dire que l’on part de son besoin et non des motivations des parents.”

Mme Anne Brugnera, rapporteure, lui répond : “Je vais retirer mon amendement au profit de celui de Mme Bannier, auquel je donne un avis favorable : il introduit la notion de “projet éducatif” qui me paraît plus adaptée et supprime “particulière” à propos de la situation de l’enfant.”

Lors de la session ordinaire du jeudi 11 février 2021, Mme Bannier défend ce même amendement : “On peut entendre toutes les circonlocutions possibles autour du 4ème motif mais ma formule était très simple : on part du besoin de l’enfant – une situation qui lui est propre – d’où découle un projet défini par les parents.”

Mme Brugnera, rapporteure, précise : “Vous considérez qu’il faut autoriser l’instruction en famille parce que les parents ont un projet. Nous estimons, quant à nous, que l’instruction en famille doit être centrée sur l’enfant. Tous les parents qui pratiquent l’instruction en famille dans des conditions satisfaisantes le font pour leur enfant. Ils n’ont pas besoin de motiver leur décision, qu’ils justifient simplement par un motif de convenance personnes, mais s’ils ont choisi l’instruction en famille, c’est bien pour leur enfant ! Il suffit de discuter avec ces parents pour constater à quel point ils ont adapté leur projet éducatif à leur enfant. Les familles qui ont plusieurs enfants instruits à domicile n’ont d’ailleurs pas le même prjet éducatif pour chacun d’eux. Ils usent de la liberté pédagogique offerte par l’instruction en famille pour s’adapter à chaque enfant et à son rythme d’apprentissage. Le quatrième motif inclut donc les dimensions auxquelles vous êtes attaché. L’instruction en famille part de l’enfant, mais s’appuie naturellement sur le projet pédagogique. Je suis persuadée que les familles qui pratiquent l’instruction en famille sauront demain motiver les besoins de l’enfant en fonction de leur projet éducatif.”

Mme Annie Genevard soulève : “Mais il faut une situation particulière !” Ce à quoi Mme Brugnera répond : “Tout enfant est particulier, madame Genevard !”

Mme Brugnera ajoutera : “L’école est en effet la règle. L’instruction en famille sera possible sur dérogation motivée par l’intérêt supérieur de l’enfant et les parents sont libres de la choisir : ils feront une demande d’autorisation à partir de leur projet éducatif, des besoins de l’enfant, et pourront soit poursuivre l’IEF, soit s’y engager.”

Avis de l'enfant

Suite à une proposition d’amendement, M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, répond : “Je comrpends parfaitement l’esprit de cet amendement et la référence à la Convention internationale des droits de l’enfant. C’est d’ailleurs l’occasion de rappeler, pour répondre à certaines observations, que le projet de loi consacre l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est une très bonne chose et je suis heureux que le code de l’éducation comprenne désormais cette notion. Il est bon de connaître l’avis de l’enfant arrivé à l’âge de l’enseignement secondaire, sur ce sujet comme sur d’autres.”

Appui des contrôles précédents pour la demande d'autorisation

Mme Brugnera déclare : “De surcroît, pendant la première année, des contrôles ont lieu qui, s’ils sont positifs, appuient la demande d’autorisation suivante. La famille est alors connue des services administratifs et il ne fait pas de doute que le traitement de son dossier s’en trouvera accéléré.”

Demande d'autorisation en cours d'année

Mme Brugnera déclare : “Il y a trois situations possibles : soit la demande d’instruction en famille est faite au printemps pour l’année scolaire suivante, et l’enfant reste à l’école, où tout se passe bien, le temps que le dossier soit instruit, avant de changer de régime à la rentrée ; soit il est déjà instruit en famille et continue ainsi à la rentrée ; soit un problème particulier nécessite le passage à l’instruction en famille en cours d’année scolaire.”

Les familles qui pratiquent correctement l'IEF ne sont pas visées par cette loi

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, assure lors des débats : “Les parents qui pratiquent une instruction en famille conforme aux droits fondamentaux de l’enfant n’auront aucun problème.”

“Si vous êtes aux côtés des familles qui pratiquent correctement l’IEF, rassurez-les avec nous et dites-leur donc qu’elles ne sont pas concernées par ces enjeux.

“Il n’y a pas de désaccord entre nous. Sur la forme, nous pouvons imaginer élargir la mesure lors de la séance publique. Et l’existence d’une telle mesure prouve que nous ne voulons pas supprimer l’instruction en famille : lorsqu’elle se passe bien, nous l’accompagnons de ce type de garantie.”

L’instruction en famille n’est pas mise en procès dans ce texte. C’est une liberté, qu’il convient de préciser pour lui donner une assise plus solide. (…) Notre objectif n’est pas de la supprimer. (…) Nous avons dialogué avec le Conseil d’État, écouté les familles et élargi les exceptions. Nous visons l’instruction en famille dévoyée, qui sert le séparatisme. Nous serions en tort de ne pas distinguer la bonne et la mauvaise instruction en famille. (…) Les familles qui ont choisi l’instruction en famille pour de bonnes raisons n’ont rien à craindre de cette loi et ne devraient pas perdre leur énergie pour rien. En revanche, ceux qui développent des structures clandestines ont tout à en craindre.” (Séance au Sénat du mardi 6 avril 2021).

La réserve du Conseil constitutionnel

Dans sa décision N°2021-823 DC du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel a émis une réserve sur l’application de la loi : “Examinant les dispositions de l’article 49 prévoyant que l’autorisation d’instruction en famille est accordée en raison “de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité de la ou des personnes chargées d’instruire l’enfant”, le Conseil constitutionnel juge que, d’une part, en subordonnant l’autorisation à la vérification de la “capacité … d’instruire” de la personne en charge de l’enfant, ces dispositions ont entendu imposer à l’autorité administrative de s’assurer que cette personne est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. D’autre part, en prévoyant que cette autorisation est accordée en raison de “l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif”, le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartiendra, sous le contrôle du juge, au pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction en famille conformément à ces critères et aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit.

Par l’ensemble de ces motifs, il juge que les dispositions contestées ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. En outre, si les dispositions contestées prévoient que l’autorisation d’instruction en famille est accordée sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant, elles n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté de conscience ou d’opinion des personnes qui présentent un projet d’instruction en famille.”

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